CRITIQUE D'ART
Son œuvre, très variée et très remarquée, a été présentée dans de nombreuses expositions personnelles et collectives.
Les sculptures de Didier Poisson sont surprenantes : des formes signifiantes et mystérieuses, très souvent épurées, qui interpellent par leur grâce et par leur force. Qu’elles soient présentées comme des objets artistiques en soi coupés de leur environnement, selon les normes classiques, ou bien intégrées dans des ensembles naturels plus vastes qu’ils investissent alors de leur sens, ces créations ne manquent pas de questionner notre regard. Même lorsqu’elles atteignent des dimensions monumentales, ces œuvres défient la pesanteur et l’immobilité : de paradoxales sculptures en mouvement surgissent sous nos yeux, et leur temps suspendu semble prêt à reprendre sa marche.
Mais les paradoxes ne s’arrêtent pas là. Didier Poisson arrive à condenser dans une même œuvre le vertige de l’espace infini et la suggestion de l’intimité: son audacieux « Traceur du temps » évoque, sur fond de pierre rouge lunaire, le mouvement cosmique des planètes, mais aussi la beauté privée d’un collier prêt à être offert dans son bel écrin irrégulier... L’éphémère et l’intemporel fusionnent dans un même objet.
Quelques détours par la sphère du religieux sont l’occasion pour l’artiste de nous donner à voir la foi incarnée. C’est le cas de « L’homme mosquée », figure hybride qui absorbe dans ses traits anthropomorphes la religion instituée : la pierre devient chair, et vice-versa. La réunion des forces individuelles dans une sorte de danse magique est perceptible dans la sculpture « Marche tibétaine », qui porte le sous-titre « Prosternation ». On peut y lire également la succession des mouvements dans le temps, encore une manière pour Didier Poisson de repousser les limites de la sculpture. Ici, le marbre et le granit côtoient le bois et le sable, et cette juxtaposition d’éléments nous incite une fois de plus à réfléchir sur le passage du temps.
Un imaginaire postmoderne - qui ne se prive pas de recourir aux sources ancestrales - s’épanche à travers des créations et des créatures nouvelles et convaincantes : le « Serpent de vagues », l’eau féminisée (« H2O »), les humanoïdes bossus, mi-hommes mi-robots à la poursuite d’une énigme verte (« La belle verte ») et surtout cette « Psychamilka » faite en granit d' Himalaya d' Inde, cornes de vache et mamelles synthétiques. Quel bonheur de la regarder blottie au milieu des hautes herbes, tout droit sorties d’un rêve enfantin ou d’un conte!
Didier Poisson n’hésite pas à être un sculpteur de mots également : ses titres nomment bien la réalité dont il est le créateur, avec une vraie force poétique doublée souvent d’un jeu ironique : « Delphine la Pinope » surgit ainsi de ses rondeurs, la « Victoire cravatée » nous renvoie à son modèle antique tout en gardant ses angles, les « Crabes patriotes » hauts en couleurs dansent de façon plutôt anarchique sous nos yeux. Parmi les œuvres monumentales, « Ensemble vers l’eau de là » nous guide simultanément vers la source de vie si proche et vers un Au-delà déroutant.
L’œuvre engage également un beau dialogue avec son environnement : certaines compositions jouent non seulement avec les matériaux traditionnels, mais elles intègrent aussi le ciel, les saisons… elles pointent vers un hors-cadre qui est aussi celui où se déroulent nos vies. On se laisse envoûter par ce travail et par son harmonie ouverte, qui nous interpelle et nous interroge sur nos propres rapports avec le monde.
Monica Salvan, Professeur de Lettres modernes, Docteur en langues, littératures et sociétés
Le marbre le plus pur au monde, le marbre noir, n’a pas laissé le sculpteur Didier Poisson indifférent: de cette noble roche est née une série de sculptures fines en taille directe.Notre regard se pose alors sur des formes pleines, très souvent arrondies, qui font la part belle à un imaginaire nourri de sensualité et de maternité.
Le couple fusionnel est un thème qui revient («Un homme une femme», «Couple», «Fusion»), tressant des silhouettes distinctes en une figure unique.
Mais les rondeurs évoquent également une matière en gestation («L’attente»), remplie d’une certaine douceur, sous l’effet de la lumière qui se reflète sur ces surfaces polies.
L’apparition de la couleur est surprenante dans la succession de formes en marbre noir («Tenue de soirée»). En brisant une répétition rassurante, la couleur opère une sorte d’ouverture onirique fulgurante. Une surprise visuelle qui impose une variation dans le rythme du regard, une réception différente.
L’œuvre qui porte le nom «Maîtrise de soi» nous donne une image de l’effort nécessaire pour que tout tienne ensemble: la maîtrise est aussi une contorsion de soi, elle est faite de tension et de contrainte. Les angles coexistent ici avec la fluidité des contours arrondis.
Si les noms que Didier Poisson donne à chacune de ses créations nous guident et nous permettent de comprendre la vision de l’artiste («Femme libre», «Gardien», «L’Eveil»), ces sculptures, qui peuvent apparaître comme des bribes incarnées d’une rêverie poétique, nourrissent l’imaginaire du spectateur et lui laissent la liberté de rêver à son tour. La force et la grâce de l’expression de cet artiste n’ont pas fini de nous surprendre et de nous envoûter.
Monica Salvan
Professeur de Lettres modernes - Docteur en langues, littératures et sociétés